top of page

DNSEP.BTP, 2022

diplôme DNSEP

À l'ESAM Caen

commissariat : Anna Tuccio


photographe : Michèle Gottstein
 

Anna Tuccio diplôme art contemporain 2022 Caen ESAM huile sur toile, performance, lecture

performance lecture d'un extrait du mémoire "L'inquiétante étrangeté (je n'ai jamais lu Freud)" Huile sur Toile

L'inquiétante étrangeté (Je n'ai jamais lu Freud), extrait de Huile sur Toile, 2021

À vouloir créer un autre corps.
Rien que ça un corps à son image un corps et puis ça,
organes en mouvements
si tout va bien que ça respire que ça pleure que ça rote
Ça leur appartient
Où va ce temps que l’on gagne ?
Mariage, maternage, pavillonnage et dans quel ordre ? Il existe une fiche technique de la vie en sous-titre, derrière, dans le décor.
Cette recette du bonheur manque de sel, elle manque de miel et d’audace.

C’est pas original.

Je me demande souvent pourquoi
il existe si peu de modèles différents
dans nos sociétés lorsqu’il s’agit
de relations amoureuses, d’enfants
et de maisons familiales.

« C’est comme ça. »         ???

Qu’on m’explique pourquoi tant de gens rêvent de mariage et de mômes, d’une femme ou d’un mari pour la vie quand moi ça me provoque des angoisses à m’enfermer la tête à double tour.
Je vous écoute.

« Tu dis ça maintenant, mais tu verras, plus tard comme tout le monde, tu en crèveras d’envie »

En crever.

Souviens-toi, on avait des scolopendres
Qui dansaient dans nos veines
Et un alligator au fond de la cuisine
Sur la droite en entrant


On me parle d’horloge biologique,
du jour béni où mes hormones m’intimeront sans ménagement de perpétuer l’espèce. Je réponds « on verra » et je pense: démerdez-vous avec l’espèce. Quand j’ai l’énergie, je réponds que choisir de ne pas faire d’enfants est l’acte le plus écologique d’aujourd’hui. Évidemment ce n’est pas mon argument premier, mais ça joue dans la balance. Toujours est-il que c’est la réponse qui fonctionne le mieux pour faire taire les relous quand ils me gonflent.

On a mis une date de péremption sur mon corps et lorsque cette horloge morbide sonnera le glas de la dernière heure, on ne pourra plus espérer à ma place que je mette bas.
Quel soulagement cela sera, qu’on laisse mon utérus où il se trouve et où il appartient d’exister, c’est-à-dire dans mon corps et c’est tout. Si seulement ça s’arrêtait là. L’on trouvera que je dois être bien triste, bizarre de ne pas avoir eu d’enfants, doit être un peu dérangée non ? Un caractère si pourri qu’elle ne pouvait pas garder mari ?

Le ventre qui gonfle comme un ballon de baudruche. Tu vois le tableau ?

Donner naissance, c’est une sorte de suicide.

On essaie de se poursuivre soi à travers un autre être vivant, de s’allonger, on fait une extension de soi-même, qui, on l’espère, sera meilleure que nous.
On lui projette une vie plus belle, pleine de jouets, promesse de richesse. Accomplis, ma fille, ce que je n’ai jamais pu faire.
Le miracle de la vie

J’ai vu des photos, entendu et lu des histoires, écouté les femmes de ma famille à propos de l’accouchement, si ça vous sape pas l’envie de faire des enfants ça... C’est mignon de me demander à moi de subir de telles transformations. Hé les filles, faites ce que vous voulez avec vos corps et vos vies, mais lâchez-moi la chemise. Le miracle de la naissance se fait dans la souffrance, provoque des lésions irréversibles à nos corps, à nos libidos, à nos cerveaux. «Baby blues», c’est mimi baby blues. Je jouerais bien du baby blues à la guitare, sur mon rockin’babychair, un blues encore plus simplifié, devant un champ de pâquerettes. Plus glam’ que dépression, c’est clair.

Le tabou autour de la naissance blesse. Stigmatiser la nullipare, ou la femelle n’ayant jamais mis bas, blesse. Pas que les femmes, mais la société entière. J’aurais aimé apprendre tant de choses
en éducation sexuelle que j’ai du connaître à mes dépens, à force de vivre. Parler de grossesse, d’accouchement, de naissance et de parentalité à la fois aux garçons et aux filles, afin d’impliquer le masculin dans l’équation. Au lieu de simplement prévenir des MST, des grossesses non désirées, dire aux filles prenez la pilule et aux hommes mettez un préservatif, mais parler aussi de consentement, de respect, de tendresse et d’attention, et même de chagrin d’amour.
 
Déconstruire
Reconstruire

C’est le miracle le plus banal du monde, et pourtant, c’est celui qui m’angoisse le plus. Ma mère dit qu’elle ne sait pas à quoi aurait rimé sa vie si mon frère et moi n’étions pas nés.

Je crois que c’est à la fois la plus belle et la plus triste phrase qui m’ait été adressée.

Je vois bien le paradoxe, je suis reconnaissante auprès de ma mère que d’exister (ai-je le choix?), mais je trouve les raisons qui nous poussent à faire des enfants insuffisantes, inadéquates avec le monde tel qu’il se présente aujourd’hui, effrayantes, dignes d’un mauvais film de science-fiction.

Si ce n’est pas un suicide, serait-ce une velléité de seconde naissance ? Un regain de jouvence à travers ta descendance ?
À la peur de vieillir s’oppose l’idée de vivre éternellement, en léguant un peu de son génome ?

Souviens-toi de l’époque où tes amis sont ta famille. Moi j’y suis encore, et je voudrais que ça dure toujours.
Et pourquoi pas ?

 

bottom of page